Les concertos pour piano
L'avantage d'avoir un blog, c'est d'avoir la possibilité d'y écrire tout sur n'importe quoi en s'imaginant simultanément que sa prose à une quelconque importance et qu'il existe un paquet de quidams pour écouter en hochant la tête d'approbation. La psychothérapie à la portée de tous les claviers, l'exutoire illusoire.
Prenez donc place Monsieur, allongez-vous sur le sofa, laptop sur les genoux et dites-moi donc.
Je hais le piano. Non pas que l'objet en tant que tel m'ait un jour fait quoi que ce soit, pas de trauma dans ma petite enfance, pas de travail acharné sous l'oeil torve d'une vieille professeur célibataire frigide qui sent la maison de retraite, pas de rupture amoureuse avec une pianiste de génie partie avec un pianiste tout aussi génial. Que veux-tu, lecteur(euse) j'ai ça chevillé au corps, le piano c'est pas pour moi, ni pour mes oreilles d'ailleurs.
Ni chez Clayderman et Céline Dion ( R.A.S ) ni chez Lennon, ni chez Radiohead, ni chez Belle and Sebastian, et Carole King. Même les premier albums de Tom Waits me filent la nausée. Pas plus chez Monk, Jelly Roll Morton et Fats Waller, bien que chez les sus-cités, le génie de la musique elle-même m'aide à supporter l'instrument. Au sommet de cette pyramide de dégoût pianistique se trouvent la majeure partie des concertos pour piano du répertoire classique, nous y reviendrons.
Alors c'est bien beau cette avalanche de méchanceté gratuite envers un instrument que je ne côtoie pas souvent, voire même rarement, et que je pourrais très bien choisir d'ignorer superbement, mais vas-tu me dire, pourquoi tant de haine ?
Bonne question. Il faut parfois savoir chercher des réponses aux interrogations les plus inutiles. C'est même souvent vital.
Tout d'abord le piano c'est populiste. Je n'arrive pas à envisager ne serait-ce qu'une demie seconde de pouvoir porter dans mon palpitant trop étroit un instrument dont monsieur tout le monde ( c'est-à-dire toi lecteur (euse) est-il besoin de le rappeler ) peut sortir un son comme ça, sans effort, sans apprentissage, sans sang, sueur et larmes. Et même pas un son cradingue comme le premier archet frotté sur une corde de violon, ou le premier vagissement nasillard d'une hanche double incontrôlée, non, non, non, un son potable, audible... un son de piano quoi.
Même la justesse, l'intonation, est préfabriquée. Un pianiste ne s'accorde pas. Une tierce personne s'en charge. Du coup, un pianiste qui joue faux n'est absolument pas coupable, c'est tout juste si on ne le plaint pas le pauvre : il est même victime d'un accordeur de piano qui ne sait pas faire son boulot.
Ce juste son lambda à la portée du premier venu, ça tue le métier ( et pas seulement des accordeurs dont il est question plus haut ), ça lamine la magie.
Il en va de la justesse comme du reste, un piano c'est binaire, faux ou juste, noir ou blanc, t'appuies ou pas. Les pains géniaux, les canards bien sentis n'existent pas au piano, la binarité de l'instrument n'autorise même pas ce genre d'accrocs heureux. C'est la bonne touche .... ou pas.
Comme le clébard et celui qui tient sa laisse, en musique il n'est pas rare qu'un mimétisme certain puisse être relevé entre l'instrument et l'instrumentiste.
CQFD. Je déteste les pianistes ( comme je déteste les trois quart de la terre entière me direz-vous, je ne suis plus à ça près ).
Le pianiste est au musicien ce que l'attaquant de pointe est au footballeur. Une fois que tu lui files le ballon, il le garde pour lui, et se retrouve en prime sous les projecteurs quand par hasard, il finit par en mettre une au fond en une heure et demie de jeu. Le grouillot de milieu de terrain qui court comme un dératé, tout le monde s'en fout.
Les pianistes jouent donc seuls. Même quand il sont accompagnés. Et en prime moi, et la majeure partie de mes collègues de l'orchestre encore concernés par leur travail, on est de surcroit priés de les suivre.
Au cocktail mondain d'après concert on pourra à loisir s'extasier devant la virtuosité du pianiste, son touché de velours, son interprétation lumineuse... de l'orchestre pas un mot sauf si, bien sûr, il n'a pas réussit à coller au train du divin soliste et de ses caprices musicaux, justifiés ou non. Et là on ne viendra pas dire au soliste "Oh coco faudrait penser à t'acheter un métronome et écouter tes copains derrière."
Pour finir, il y a les concertos pour piano. Concerti même, devrais-je dire pour les ritalophones de l'assistance.
Les concertos pour piano sont à la musique savante ce que le métal symphonique est à la musique populaire. Une purge sans nom émaillée de quelques bonnes surprises. Je suis même étonné que les guitaristes chevelus dévaleurs de manche ne se soient pas encore intéressé à ce répertoire pourtant si riche en diahrées de notes et dégoulinage de traits plus vite que la lumière. Peut-être parce que ces mêmes chevelus n'ont que cinq doigts disponibles contre dix pour les pianistes... ça fait quand même un putain de challenge.
Listz ou Litsz ou Litzs ( je ne sais jamais ou se mets se foutu z donc autant prendre des précautions ), St Saens, Chopin, Tchaïkovsky, Schumann...pas un n'a réussi le prodige de me foutre les poils avec un concerto pour clavier.
C'est toujours la même chose, virtuosité à gogo, mélodies tire-larme ou pisse-mémé c'est au choix, le tout saupoudré du bon goût des pianistes ( même les plus brillants d'entre eux ) pour le rubato sans limites... et moi ça m'emmerde. Comme si le fait d'avoir dix doigts sur le clavier rendait criminel le fait de jouer une note isolée, sobre, un son pour un son.
Même sans le son, ou plutôt en se bouchant les oreilles, l'inclinaison des ces mêmes pianistes pour les tenues de scène rococo ( ah Brigitte Engerer et son peignoir de lumière piqué à l'ex-maîtresse de Boris Elstin .... ) et les mouvements circulaires ou semi-circulaires ou encore d'avant en arrière suffisent à me mettre littéralement le mal de mer.
Heureusement parfois, les jours où je suis peut-être un peu moins de mauvaise foi voire un peu moins con, j'ai eu des bonnes surprises.
Beethoven d'abord, le sourdingue de service et ces sonates pour clavier démoniaques qui poussent tout les potards sur onze, mettent tous les vumètres dans le rouge. Ca va trop vite, c'est trop construit, trop impressionnant, trop violent, trop doux, trop sensible, trop tout ... L'uppercut que m'a collé le dernier mouvement de l'Hammerklavier !
Ravel ensuite. Deux concertos pour piano, deux claques, deux putain de chefs-d'oeuvre. Je me souviens encore de Muraro et de son battoir gauche sur-dimensionné qui savait si bien souligner sobrement ( c'est suffisamment rare pour être noté ) que les fantômes du jazz hantent le grenier de ce bon vieux Maurice.
Prokofiev, Bartok et Grieg sont aussi dans le top five et hors catégorie : Hans Peter Kyburtz, dont le concerto m'a carrément scotché et m'a, l'espace d'un instant, fait voir qu'un autre piano était possible, qu'on pouvait dépoussiérer et même secouer cette foutue institution vieille comme le monde.
Pour finir , je n'aime peut-être pas le piano, les pianistes et les concertos pour piano parce que je suis moi-même passible d'un zéro pointé les mains sur un clavier. Poser les doigts sur les touches et vous comprendrez.
Un clavier de piano c'est un foutu continent, un espace immense sans repères, un monstre lisse et bi-chrome dont je ne parviens désespérément pas à comprendre l'anatomie, que je ne saurai vraisemblablement jamais dompter. Et pourtant qu'est-ce que ça doit être chouette de savoir jouer du piano ....
Bien Monsieur, relevez-vous la séance est finie. Ca va mieux ?
Tant mieux, parce qu'il faut que je te laisse lecteur (euse) je joue le premier Concerto de Chopin dans une heure dix ...