Les conversations noyées dans le Paddy ont du bon, dans la mesure où j’ai découvert, pas plus tard que mardi soir, qu’elles avaient au moins le mérite de poser les bonnes questions. Ainsi donc, après une dose largement déraisonnable de tord-boyau irlandais, un pote, dont nous tairons la véritable identité et appellerons Nico, s’exclame, alors qu’on discute musique, ( excusez d’avance lecteur (euse) la familiarité des propos rapportés ici ) « Mais putain pourquoi rien ne me fais plus vibrer depuis la mort de Kurt ? ». Non Kurt n’est pas le défunt hamster nain de Nico , mais bien le chanteur refroidi de feu Nirvana ( ça en fait des cadavres dans une phrase ça ! ).
Certes , personnellement j’ai toujours eu du mal à encadrer Nirvana, aversion renforcée plus tard par le culte massif d’un brailleur à côté de ses Converses ayant décidé de tester les propriétés pare-balles de son carafon, sans succès évidemment.
Reste que cette interrogation sonne juste et résonne en moi, tant il est vrai que les derniers disques à m’avoir vraiment touché ont au moins une bonne vingtaine d’années.
Car oui il existe à mon avis trois catégories de galettes, celle, qui sont légion, dont on se contrefout ou que l’on déteste, celles, encore nombreux, que l’on apprécie et réécoute sans cesse avec plaisir, et enfin celles du cercle très select qui vous marquent réellement, dont on ne pourrait se séparer et dont on dit, plus par sens de la formule choc qu’autre chose, qu’ils ont changé votre vie.
Comment se fait-il que cette dernière catégorie n’est plus aujourd’hui que de rares candidats potentiels (le premier qui l’ouvre pour parler de parrainage s’en ramasse une !) ?
Le premier coupable possible est, à mon sens, le marché du disque lui-même et ses médias de diffusion.
En effet, ces dernières années, les productions discographiques se sont multipliées, et à l’inverse d’aller vers une diversification de l’offre, se sont focalisées sur une variet’ mainstream de mauvais goût, visant à laisser un minimum de vide dans le tiroir caisse des majors. Les radios ont suivi, saturant leurs ondes des mêmes refrains abscons et formatés. Plus ou peu d’espace donc pour des groupes au discours décalé, original, et plus de prises de risques des producteurs, ça serait quand même con de risquer son salaire et son bureau dans le 6e par amour de l’art.
Chacun à sa place donc, les groupes indépendants de plus en plus en marge des circuits et accessibles aux seuls aficionados, et la bouse de masse bien étalée 24h/24h sur la moindre parcelle d’espace de diffusion.
Gageons que s’ils devaient se révéler aujourd’hui, des groupes comme les Stones , Nirvana, Pixies et autres Smiths seraient prier d’aller se faire intermitter dans les bars miteux qui conviennent à l’estimation de leur potentiel de vente.
Reste qu’il y a encore un bataillon de groupes et artistes intéressants ( Broken Social Scene, Arcade Fire, Bonnie Prince Billy, Grandaddy etc … ), qui pourraient laisser leur empreinte sur notre époque, mais qui malheureusement sont condamnés par le marché à rester dans l’ombre des vaches à lait et donc du grand public.
Que se lève ensuite le deuxième accusé.
Ces dernières années , c'est d'une évidence flagrante, la créativité de la plupart des artistes est en berne.
Lors de l'éclosion de la musique pop au sens large du terme, comprenez avec l'arrivée du rock au milieu des années 50, tout restait à faire et ce fut donc "facile" de défricher de nouveaux terrains pour des groupes comme les Beatles , les Who, les Beach boys et compagnie. Leur marge de manoeuvre était immense et leur mérite fut de l'exploiter avec intelligence.
Ensuite, la vague Punk puis la New wave, firent table rase des enseignements des ces pionniers devenus fats et embarquer dans une logique intello-avant-gardiste prétentieuse. Leur grande avancée consista donc à détruire les codes vieillissants des générations passées.
A leur tour , les crêteux de tous poils se sabordèrent ou rentrèrent dans le rang, embarquant le monde musical dans la traversée du désert des mid'eighties, où les seules avancées significatives furent l'avènement des musiques électroniques de la house à la techno, et bien sûr du hip hop.
Le soubresaut grunge se contenta quant à lui de remettre les instruments acoustiques au goût du jour, en reprenant, plus ou moins adroitement, les choses là où l'armée des épingles à nourrices les avaient laissées.
Depuis ....... rien ..... ou pas grand chose. Même les disques les plus intéressants de ces dernières années se contentent de revisiter avec réussite des codes vieux d'une décennie au minimum.
Du revival reggae hexagonal , au récent retour du rock, des White Stripes aux Arctic Monkeys, tous se contentent de mixer des influences sans réellement changer la face du monde, alors que parallèlement, la variété, et la musique black ( du r'n'b au hip hop ) sombrent à grande vitesse dans un mercantilisme putassier gerbant.
C'est de ce manque criant de création que provient ce sentiment de n'être plus touché au coeur et aux tripes que rarement, tant il est vrai qu'on ne peut vraiment s'émouvoir d'une musique dont on connait clairement les ficelles.
D'autre part , tous les groupes phares jamais signés se situaient également dans une logique sociale qui joua indéniablement un rôle important dans leur capacité à laisser leur empreinte sur des générations.
Les Who, Beatles, Stones, Kinks, incarnèrent l'éveil de la conscience d'une jeunesse enfermée dans le carcan de l'après guerre, le punk cracha à la figure de ces références un "do it yourself" salvateur et destructeur d'une musique sombrant peu à peu dans l'académisme, la new wave transcrit le dégoût des années Thatcher, le hip hop fit éclater au grand jour le malaise de la communauté afro-américaine, et le grunge se fit l'écho des soucis d'une génération en proie aux doutes de la crise économique.
De nos jours, à l'heure ou la musique est devenue une gigantesque industrie de loisir et de consommation sans effort, peu d'artistes ont désormais la préoccupation de parler à leur public, et se contente de lui fournir sa dose de jolies chansons formatées et doucereuses.
Enfin, et c'est peut-être là la cause réelle de ce manque de groupes marquants, nous avons changé, mon cher Nico.
Nous ne sommes plus ces ados plus ou moins bien dans leurs baskets qui voyaient en Cobain et autres Cantat un moyen de se raccrocher à un art qui signifiait plus pour nous que les discours de nos parents et profs.
Nous doutons de moins en moins de notre avenir , nous nous installons petit à petit dans une vie confortable, et nos états d'âme nous pèsent de moins en moins. Je crois que si aucun groupe ne nous émeut profondément aujourd'hui , c'est peut-être que nous n'en avons plus autant besoin qu'avant, même si nous en avons conservé le désir.
Mais ce n'est pas grave, car je crois qu'avec des galettes comme celles de Björk , Nirvana, Pearl Jam, No one, Neil Young, Joy Division, The Smiths, Noir Désir, dEUS, NTM, IAM, Underworld, Aphex Twin et autres dans nos valises , on peut sereinement devenir des vieux cons .